Dans quelle mesure peut-on comprendre de telles tragédies? Il ne s’agit pas d’actes rationnels. On ne peut pas espérer découvrir une explication qui rendra totalement compréhensibles les actions en cause. Il s’agit avant tout de causes irrationnelles, émotives et exceptionnelles comme les actions en question. Il y a aussi des explications particulières qui viennent du vécu des personnes concernées. Dans ce texte, nous chercherons à identifier les causes qui font que le phénomène prend de l’ampleur, tout en reconnaissant que chaque drame est unique.En comparant ces drames au suicide nous découvrons une première évidence. Dans le suicide l’auteur se rend responsable de ses malheurs. Dans les drames familiaux l’auteur rend les autres responsables. Il s’agit de trouver les causes probables qui inclinent quelqu’un à rendre les autres responsables.
Il est plus fréquent de rendre les autres responsables lorsque quelqu’un est persuadé de n’avoir rien à se reprocher ou encore, lorsque l’auteur croit que ce qu’on lui reproche est sans commune mesure avec ce qu’il endure. Si nous prenons ce dernier cas, toutes les personnalités renfermées, incapables d’exprimer un mécontentement et les rancuniers entrent dans cette catégorie.
Pour ce qui regarde ceux qui croient n’avoir rien à se reprocher. À part les orgueilleux, rares sont ceux qui iraient jusqu’à se prétendre sans reproches. Pourtant ce type de crime est en hausse. La question devient comment quelqu’un qui n’est pas foncièrement orgueilleux peut-il en venir à croire qu’il n’a rien fait pour mériter ce qui lui arrive?
Pour le comprendre il faut porter son attention vers un changement majeur qui a eu lieu dans le monde de la pensée. Aujourd’hui, il est de plus en plus admis que chacun a droit à ses idées. Même si deux personnes soutiennent des positions diamétralement opposées, il ne peut être question d’affirmer qu’une a forcément raison et l’autre tort. Il faut respecter ce que chacun pense. Les personnes qui affirment défendre la vérité font peur. Chaque personne est libre de penser comme elle le veut. C’est ce qu’il est convenu d’appeler le relativisme. Cette attitude concernant la recherche de la vérité se transpose dans le domaine éthique. Le bien et le mal sont relatifs à chaque personne. Ce qui semble bien pour l’un est reconnu comme étant mauvais par un autre. Ici encore la tolérance, l’ouverture et le respect semblent les seules attitudes acceptables.
À la question pourquoi quelqu’un peut-il en venir à croire qu’il n’a rien fait pour mériter ce qui lui arrive, on peut répondre ceci. Dans une société relativiste chaque individu décide de ce qui lui semble bien ou mal. Il a sa propre grille d’analyse. Il pose des actes que l’autre trouve incorrects, mais lui trouve ces actes totalement justifiés. Par exemple, on lui reproche de ne pas être serviable ou de ne pas s’exprimer. Lui est persuadé avoir de bonnes raisons de ne pas le faire. Par conséquent, il ne fait rien de mal. Vous pouvez appliquer ce fait d’être le maître qui décide du bien et du mal à d’autres situations. Cette façon de faire se répète au fil des années, vous devinez tous les malentendus et les frustrations que ce comportement entraîne de part et d’autre.
Toute personne convaincue de n’avoir rien fait pour mériter ce qui lui arrive développe le sentiment d’être traité injustement et ne pas avoir la considération qu’elle est en droit de s’attendre. L’injustice et le mépris produisent la colère. Une colère durable se transforme en haine. La colère s’éteint lorsque l’offense est punie. La haine n’a pas de limites, elle croit que l’autre ne souffrira jamais assez, compte tenu de ce qu’il nous fait endurer.
Nous touchons peut être ici aux causes du drame. Comment expliquer des drames qui vont à l’encontre de sentiments naturels : tuer ses propres enfants, ses parents, ses grands-parents, son conjoint? Comment comprendre cette capacité de poser des actes aussi violents contre des personnes tant aimées? Il me semble que la combinaison de la colère et de la haine puisse étouffer les sentiments rattachés à des liens aussi naturels et provoquer une perte de contrôle aussi totale.
Quant au suicide qui s’en suit dans bien des cas, il peut se comprendre ainsi : tant que l’assassin vit dans sa bulle, laquelle lui permet de diaboliser les autres, tout semble très logique. Cependant lorsque le crime est accompli, il se bute à la réalité. Il réalise tout à coup ce qu’il vient de faire. Il se voit comme un monstre qui a outrepassé les lois de la nature. A ce moment précis, lui vient à l’esprit qu’il ne mérite pas de vivre.
John White, Québec