Les jeunes conducteurs occupent une grande place dans le bilan des morts et des blessés suite à un accident de la route. Il est dans la nature du jeune de ne pas penser spontanément au danger de mort. En raison de sa santé et de sa vigueur, il a également tendance à se croire invincible.
De plus, certains changements sociaux tendent à prolonger la durée de l’adolescence. A la lumière de ces seules données on peut mieux mesurer le défi qu’ont à relever ceux qui se donnent comme mission de rendre leur conduite responsable. Il n’y a que deux voies de solution majeures : accroître leur attachement à la vie et aussi leur crainte de la mort. Il y a un hic, ce ne sont pas toutes les formes d’attachement à la vie, ni toutes les craintes de la mort qui rendent la conduite responsable. Procédons par élimination.
Celui qui raisonne de cette façon : «je n’ai qu’une seule vie à vivre, je dois en profiter au maximum». Cet attachement à la vie centre la personne sur elle-même. Il insiste sur ce que la vie lui apporte plutôt que ce qu’il donne. L’accent est mis sur le bonheur du moment présent. Vouloir profiter au maximum du moment présent ouvre grand la porte aux excès, ce qui affecte la manière de conduire. De plus, puisque les autres pèsent moins dans la balance étant donné que le moi règne dans cette façon de voir la vie, ce conducteur sera porté à prendre plus de risques. Toute campagne de sensibilisation destinée à cette clientèle qui se limite à souligner les plaisirs qu’il perdrait en mourant ne fait que renforcer ce type d’attachement à la vie, puisque cette clientèle recherche avant tout le plaisir ici et maintenant.
D’autres voient la vie comme une aventure, un lieu pour faire des expériences. Cet attachement à la vie met encore l’accent sur le moi. Il y a un élément dynamique puisqu’on insiste sur l’action. Les autres ne sont pas exclus, mais ils ne sont pas recherchés pour eux-mêmes. Leur présence n’est souhaitée que dans la mesure où ils participent à nos projets. Le goût de l’aventure peut conduire à rechercher des expériences extrêmes, dont une façon de conduire qui produit des sensations fortes. Toute campagne de sensibilisation qui présente la mort comme un risque inutile renforce ce type d’attachement, puisque ce conducteur carbure au risque.
De tous temps l’attachement à la vie qui conduit le mieux au sens des responsabilités est celui qui découle de s’être lié à des personnes qui ont grand besoin de nous. Par exemple, devenir parent accélère la maturation. Exercer un travail dans lequel les autres ont clairement besoin de nos services augmente notre sentiment d’être indispensable et incite à vouloir continuer à les satisfaire. La forme d’attachement à la vie la plus efficace en termes de responsabilisation c’est celle qui vient de la certitude intime d’avoir des personnes qui ont besoin de nous. Les parents voient clairement que leurs enfants ne peuvent se passer d’eux, ils désirent vivre longtemps pour eux. Cet amour de la vie est centré sur notre apport à ceux qui en ont de besoin. Ces besoins réels donnent plus de motivation à rester en vie et à éviter de s’exposer au danger, que l’attrait des plaisirs ou le trill de l’aventure.
De la même façon ce ne sont pas toutes les craintes de la mort qui ont de l’efficacité. Certains voient essentiellement la mort comme la privation de la vie. Mourir dans ce cas signifie ne plus pouvoir faire ceci ou cela. Ici encore l’attention est centrée sur soi. Cette façon de voir la mort se révèle lorsque qu’en passant proche de mourir le survivant a comme seule réaction de chercher à profiter au maximum du temps qui lui reste, plutôt que de le motiver à en faire plus pour ses proches. Il ne faut pas confondre apprécier ce que la vie nous donne et vouloir en retirer le maximum. Nous avons vu précédemment que ce désir de profiter de la vie au maximum ne donne pas le résultat que nous recherchons. Craindre de ne pas profiter au maximum de la vie nous dispose-t-il a bien mesurer le risque que l’on fait prendre aux autres par sa conduite automobile? Cette façon de craindre la mort conduit parfois aux peurs paralysantes, comme de voir partout des accidents possibles. Une paralysie trop prononcée cause aussi des accidents mortels.
D’autres personnes voient la mort comme un passage, un voyage en un au-delà. Les adeptes de cette façon de voir ne croient pas qu’il y ait certaines conditions à remplir pour avoir accès à cet au-delà. Dans leur esprit, si la vie présente est trop lourde à porter, il y a toujours la possibilité d’en sortir pour aller vers ce monde meilleur. Par exemple, un parent qui se suicide après avoir tué ses enfants dans le but de les amener dans un monde meilleur. Plusieurs suicidaires perçoivent leur acte comme le passage obligé pour accéder à ce monde de paix. Ces seuls exemples montrent que cette façon de voir la mort ne conduit pas à chercher à l’éviter. Ici, la crainte de la mort comme telle fait défaut, ce qui conduit à des actions regrettables. Le nœud du problème vient du fait qu’il n’y a aucune condition à respecter pour accéder à ce monde meilleur. Cette façon de voir l’au-delà conduit à sous évaluer la vie, ce qui a des répercussions sur la manière de conduire. Si mourir conduit automatiquement à un monde meilleur, il y a de fortes chances de devenir négligent.
Pour qu’il y ait responsabilisation vis-à-vis de la mort, il faut que la façon de voir la mort soit en lien direct avec l’amour de la vie que nous avons identifié comme étant le meilleur. Si on veut rester en vie pour continuer à aider ceux qui ont besoin de nous, on craint de ne plus être là pour cette même raison. La crainte de la mort la plus efficace n’est pas celle qui insiste sur ce dont nous serons privés mais celle qui met l’accent sur ce dont seront privés ceux qui ont besoin de nous. Le parent malade trouve plus de motivation en pensant à ses enfants qu’en pensant à lui. Comme société il faut tendre à inculquer ce type d’amour de la vie.
L’autre obstacle à une saine crainte de la mort vient de la persuasion de pouvoir accéder à un monde meilleur sans qu’il ne soit nécessaire de respecter certaines conditions. Ce sujet est plus délicat puisqu’ il relève à proprement parler de la religion. Celle-ci indique les conditions que Dieu pose pour avoir accès à son paradis. Voulant dans ce texte aborder le sujet qu’à la lumière de notre expérience nous pouvons faire un bout de chemin quand même. Insister sur le besoin que les autres ont de nos services donne des outils pour réfuter la prétention à une vie meilleure sans aucune condition à respecter. Si le meilleur amour de la vie consiste à s’ouvrir aux besoins des autres, comment celui qui met délibérément fin à ses jours ou à celle de ses proches peut-il prétendre préparer le terrain à une vie meilleure? Prenons l’exemple des enfants assassinés qui se trouveraient en présence du parent dans l’au-delà. Ils auraient sûrement raison de se méfier de lui puisqu’il s’est déjà donné droit de vie et de mort sur eux. Comment dans ce cas le parent peut-il réalistement escompter vivre en paix avec ses enfants?
En écrivant ces lignes je suis bien conscient que la solution proposée risque de ne pas satisfaire ceux qui souhaitent des solutions concrètes ayant une efficacité à court terme. J’aimerais rappeler que de multiples solutions concrètes ont été proposées à ce jour dont l’efficacité ne saute pas aux yeux. Il y a lieu de se demander si des causes plus profondes, qui sont difficiles à identifier, ne viennent pas entraver le bon travail des gens soucieux d’améliorer le bilan routier.
La crainte de la mort marche par la main avec l’attachement à la vie. Toutes les politiques qui permettent aux jeunes d’accéder plus tôt au rôle de parent augmentent leur attachement à la vie. Tout ce qui aide les jeunes à répondre le plus tôt possible aux besoins réels des gens, plutôt qu’à le passer à se payer du bon temps contribue à leur maturité. Combattre les visions à l’eau de rose du paradis s’impose également. Les mesures ponctuelles pour améliorer la sécurité ont leur place, on ne peut cependant faire l’économie d’une approche plus globale.
Toute la culture actuelle envoie comme message de profiter du moment présent. La publicité de la bière, par exemple, met l’accent sur la fête et tend à justifier les excès. Les adultes acceptent trop facilement l’idée que la jeunesse est la partie de la vie pendant laquelle il est normal de se permettre bien des excès. Pourtant bien des jeunes ont du bonheur tout en étant modérés, ils sont même nombreux. Il n’y a pas autant d’images de ce type de jeunes qui circulent dans les moyens de communication.
Il existe également une tendance de la culture actuelle à survaloriser les expériences hors du commun. Comme si la vie de tous les jours avec ses bonheurs simples ne constituait pas déjà une expérience de vie extraordinaire. Avec cette tendance à associer la vie à l’exceptionnel, il se crée une soif d’émotions intenses, qui a pour effet de déclasser la vie simple. Nous savons que ce désir de vivre des émotions se répercute sur la manière de conduire. Pourtant la majorité des jeunes mènent une vie toute simple et s’en montrent très satisfaits. Il est rarement question de ces jeunes dans les moyens de communication.
De façon plus globale, il y a la tendance des moyens d’information à rapporter tous les accidents avec leurs nombreuses conséquences. D’une certaine façon cela est normal, c’est le métier. Par contre cela nous habitue à l’horreur, pollue nos esprits en laissant croire que les jeunes sont un véritable danger sur les routes. Pourtant il y une majorité de jeunes qui conduisent correctement, dont on ne dit pas un mot. Il faut trouver un moyen de souligner le pourcentage de ceux qui agissent en bons conducteurs pour éviter cet amalgame : jeune = danger.
Il y aurait bien d’autres voies à explorer, je souhaite seulement en indiquer quelques unes.
John White